Bonjour / Bonsoir à tous,
Je vous retrouve pour la suite de nos découvertes auprès des exploitants en agriculture biologiques intervenant à Court-Circuit . Cette fois-ci nous partons à « Champ de main » (à Bourg lès Valence) à la rencontre d’Eric et Émile, deux maraîchers. Ils occupent deux parcelles au Nord de Valence : une à Bourg lès Valences et à Châteauneuf sur Isère. Spécialisés dans les légumes et petits fruits en serre, ils nous ont ouvert leurs portes un après midi de début juin. Chaussez vos baskets, nous partons dans ces champs bio maraîchers !
« Ras le bol d’empoisonner la terre »
Le rendez vous est donné en milieu d’après midi, sur la parcelle maraîchère histoirique de Bourg les Valences. A l’arrivée, nous nous retrouvons nez à nez avec de nombreux tunnels de serre, dans lesquels grimpent déjà des poids gourmands.
C’est Eric qui nous accueille. Les mains pleines de terre, en plein dans la préparation des plantations de pomme de terre, il ne sait pas trop comment nous faire visiter. « Parlez moi d’abord de vous » lançais-je.
« Oula, l’histoire est longue, je ne sais pas si cela intéresse.. », réponds-t-il
Mais en insistant, je finis par en apprendre plus sur son parcours : Il est fils d’agriculteur, mais ne se sentait pas prédestiné comme exploitant agricole. En fait, après des études pour devenir électricien, il est appelé à 16 ans par ses parents pour aider sur l’exploitation. Il passe plusieurs années immergé dans l’agriculture conventionnelle, découvrant le meilleur comme le pire, puis fini par claque la porte : « marre de disperser des saloperies et d’empoisonner la terre et les hommes » confie-t-il.
Il découvre alors le domaine de la ré-insertion, s’y investi notamment au travers de l’association « Graines de Cocagne » : des exploitations agricoles de réinsertion. En 2014, la Terre le rappelle et il décide de s’installer en agriculture biologique. Il achète une partie du terrain de ses parents, en loue un autre, puis entreprends deux ans de conversion en bio. Il a rejoint le réseau Court Circuit à ce moment. Agriculteur, formateur au BPREA de Bourg Les Valences c’est aujourd’hui un homme heureux.
Plants de pomme de terre, prêts à la mise en terre
« On élève les plante avec soin »
Nous avançons pour visiter l’intérieur des serres. Je le félicite pour la grandeur de ses pois gourmands, les miens venant tout juste de sortir de terre. « Les serres permettent cela, réponds Eric. Elles permettent une régulation fine de la température et du climat, ce que vous n’avez pas dans votre jardin. On permet aux plantes de pousser dans des conditions plus favorables qu’à l’extérieur ». Je lui parle en effet du mini coup de froid que nous avons eu courant mai qui semble avoir arrêté la pousse. « C’est normal. S’il fait trop froid, explique t’il les plantes entrent en mode de protection. Elles « coupent les vannes » et attendent des conditions favorables avant de repartir. »
Nous arrivons devant le serres où on été plantés les légumes d’été. Dans la serre des aubergines, règne une forte atmosphère humide. Les plantes ont néanmoins une taille déjà impressionnante par rapport au jardin. Côté courgette, les plantes sont tout aussi en forme et commencent déjà à courir.
De gauche à droite, haut en bas : aubergines, melons, courges et courgettes
Nous arrivons devant une dernière avec de tous jeunes bébés de melons. Je lui demande s’ils réalisent leur semis eux-mêmes. « Non, on achète les plants. C’est un vrai métier que d’arriver à fournir une quantité donnée de jeunes plantes donnée à un instant donné. Il faut bien réguler les températures, l’humidité, donc des installations dédiées. » Je m’approche des bébés plantes pour les photographier en gros plan :
« Nous, on élève les plante avec soin : C’est du travail et de l’occupation que de les conduire les plans à l’âge productif et de les aider à produire ».
Jeunes plants de melon
Je m’amuse en repensant aux aubergines, que j’ai du mal à bien faire pousser au jardin…
« Les plantes d’été ce n’est pas toujours simple ! m’explique t‘il L’aubergine par exemple demande beaucoup de chaleur. Elle pousse bien 20-25° C. Au dessous, elle attend. Au dessus, elle se met en mode protection contre la chaleur. Avec des été à 35°C… » Laisse-t-il sous entendre
« L’image du paysan sur son champ immense dans un tracteur est à balayer »
Émile arrive alors. On se salue, parlons du magasin Court Cirtcuit, de mes reportages pour mieux connaître l’agriculture : « L’image du paysan sur son champ immense dans un tracteur est à balayer, intervient Eric . C’est vrai dans le conventionnel céréalier, mais en bio cela n’a rien à voir. »
J’embraye sur des questions au sujet du travail du sol, du compost, de l’engrais animal comme vu à la ferme des routes. « On ne fonctionne pas pareil me dit Eric, ici on a un sol très sableux, sans vers de terre, mais il y a une vie microbienne ultra active. Le sol se régénère tout seul très vite ». Il me monte la texture du sol, qui n’a effectivement rien à voir avec l’image de la motte de terre Je reste stupéfaite de sa connaissance parfaite des mécanismes de régulation du sol, et en particulier du sien. Le travail maraîcher est bien plus technique que l’image bucolique que nous avons naïvement
« Quels sont vos traitements en bio ? » demandais-je . « Pas grand-chose » me dit-il au départ. Il explique que les serres permettent une protection nette contre les ravageurs et le contrôle de la « météo » permet d’éviter de nombreuses maladies. « Par contre, quand les insectes s’installent, on les fait difficilement partir. On se sert d’auxiliaires, notamment pour les pucerons ». Nous repartons voir la serre des aubergines où il me montre des sachets de mini araignées rouges auxiliaires devant s’occuper de ces indésirables (en photo ci-dessous). Moi qui n’avait jamais vu ces fameux insectes à l’œuvre , je m’amuse de voir que leur dispersion est si simple.
« Et les limaces ? Demandais-je « j’en ai plein dans le jardin »
« On en a pas dans les serres, car elles ne rentrent pas. Pour votre jardin, c’est simple, mettez une bande de 50 cm de cailloux autour du potager. Cela les fera ch##. Elles se fatigueront bien avant d’atteindre vos légumes ! »
L’heure tourne et nous devons aller avec Emile visiter la 2e parcelle. Je prends quelques minutes pour demander à Eric quel gain il a eu à revenir dans l’agriculture bio :
« Cela m’a redonné du sens : on nourrit les hommes, les terre, et retrouvons le lien avec la nature. Mais pour être franc, transiter en bio n’était pas simple. Quand sa famille procède en conventionnel, se convertir au bio revient à tourner le dos à ces traditions familiales. Et puis il y a dix ans, on passait pour l’idiot du village ! »
J’en reste étonnée, étant donné la valorisation actuelle du bio :
« Aujourd’hui c’est bien vu par le consommateur. Mais il reste le poids des traditions familiales. C’est bien plus facile pour les néo-ruraux de s’installer bio, qu’à un fils d’agriculteur de passer du conventionnel au bio ».
Sur ces mots je reste pensive et comprends tout d’un coup pourquoi le passage en bio n’est pas automatique chez les agriculteurs, en particulier ceux âgés. Comment renier et tourner le dos à des histoires familiales de plusieurs dizaines d’années ? Je respecte beaucoup le courage d’Eric à se lancer en bio dans les premiers, malgré ses parents en conventionnel…
« Je ne suis jamais au boulot »
Nous reprenons la route en compagnie d’Emile, pour rejoindre l’autre parcelle de plein champ et d’autres serres. Nous faisons 10 km vers le nord dans des petits chemins de campagne, avant d’atterrir devant des rangées de serres bien aérées..
On passe devant la serre hébergeant le tracteur, puis rejoignons celles des légumes. Courgettes, tomates, haricots et betteraves y poussent déjà gaiement..
Autour des haricots, nous apercevons de nouveaux sachets d’auxiliaires
« On a fait un lâché il y a 3 jours, pointe Emile. Encore les pucerons. »
Il tente de nous montrer ces petits insectes, minuscules sur les grandes feuilles.
A côté je le félicite pour la taille des plants de haricots, déjà bien avancés.
« On a essayé des haricots violets. Ils sont plus faciles à identifier dans la verdure donc plus faciles à ramasser. » Je comprends d’un coup le temps qu’ils doivent passer à collecter ces légumes verts : pois gourmands, petits pois, haricots. Dans mon potager ce n’est déjà pas simple de tous les repérer et j’y passe des heures, alors sur d’immenses serres.
Nous naviguons parmi des pieds de courgette très en forme : vertes, jaunes, blanches, il y a plein de nombreuses variétés. Je lui demande s’il n’a pas de soucis de sur-humidité dans les serres et donc d’oidium : « On aère les serres tous les jours, y compris le week-end.. En cas d’oïdium, on traite avec de l’huile d’essentielle d’écorce d’orange ; cela marche très bien ».
Alors que nous rejoignons les parcelles de plein champ, je le questionne sur son parcours :
« Ce fut un hasard, confie-t-il, même s’il y a une certaine logique. J’ai grandi au potager de mes parents, vu la vie d’une ferme : mais pour moi on « naissait » agriculteur ou pas, et je ne m’étais pas senti né pour ». Il a donc fait des études d’ingénieur, une formation de contrôleur aérien puis a passé 10 ans à Genève pour son métier. Cycles de travail aléatoires, vie de famille compliquée, perte de sens dans les villes, lui et sa compagne on rêvé d’une meilleure vie pour leurs enfants. Sa compagne a trouvé du travail sur Valence, plus à la campagne, d’où leur arrivée ici. « Au départ, je m’occupais de mes enfants, puis j’ai bien réfléchi à ce que je voulais faire, et devenir agriculteur me semblait donner du sens. » Il y a 3 ans, il a attaqué un BPREA (Brevet de responsable d’exploitation agricole, pour la reconversion) à Bourg les Valences, y a rencontré Eric comme formateur. Le courant est bien passé entre eux deux et quand Eric a cherché un associé, il n’a pas hésité. « J’ai commencé à travailler ici en janvier 2019, c’est encore tout frais. »
« Qu’avez-vous gagné dans cette reconversion ? », demandais-je.
« La liberté avoue-t-il, je ne me sens jamais au boulot »
50 % de manutention, 50% de culture
Nous explorons les parcelles de plein champ. Les récoltes de l’été s’y préparent : rangées de fenouil, de betteraves, bébé carottes. Je m’amuse de découvrir ces légumes version mini, dans leur cadre naturel. Quand nous sommes devant ces légumes dans les étals, arrivons-nous à les imaginer en terre ? Pas toujours.
De gauche à droite, pas en haut : rangées de radis, pommes de terre, fenouil céleri branche, vue au dessus du fenouil et encore des pommes de terre
Mais mon regard est vite attiré par des touches de rouge au loin : des rangées de fraises garnies de fruit se dévoilent. « On peut goûter ? demandais-je » « Allez y » Je peux vous dire qu’il n’y a rien de meilleurs que ces fraises de plein champ, juteuses et savoureuses…
« Un conseil pour les fraisiers ? » demandais-je « Du soleil de l’eau, dit-il. Aussi couper les stolons qu’elles se concentrent sur les fruits. C’est la variété Joly ». Je note le nom, ayant quelques pieds à remplacer cette année.
Un détail m’intrigue : il y a deux rangées sous serre et deux rangées de plein champ : un écart de saveur existerait-il entre les deux ? Je goûte les deux, la différence est flagrante : la serre est bonne, mais le parfum de celle de plein champ l’est 100 fois plus. Pour faire avancer l’arrivée des fraises dans nos assiettes de deux semaines, nous perdons beaucoup de la qualité du fruit.. Ne devrions-nous pas, nous consommateur être plus patients ?
Alors que nous terminons le tour, je me hasarde sur la question de la « journée type ». Il me dit qu’il n’y en a pas, et que généralement tout s’articule autour de la semaine : Cueillette le lundi et jeudi, parfois le vendredi matin s’il faut un complément. Les autres jours de la semaine sont dédiés aux plantations, entretien, administratif :
« 50% de votre temps en cueillette et manutention ? M’étonnais-je » « Oui, confirme-t-il c’est une grosse partie du travail en biologique vu que tout est ramassé à la main. Quand on vous dit que l’image du paysan sur son tracteur est à bannir »
J’ose poser la question financière. Il m’avoue qu’ils arrivent tous deux à se sortir « un salaire correct « pour une petite structure agricole même si le temps passé est considérable.. « Mais, avoue-t-il, ici nous avons un cadre privilégié : nous louons les terres et n’avons pas du les acheter. De plus la grande expérience d’Eric a permit d’optimiser le travail avec des petites améliorations très pratiques pour l’ergonomie lors de la récolte, de la manutention, des livraisons. On gagne beaucoup avec ces « petits trucs ». «
En parlant d’Eric, ce dernier vient d’arriver sur la 2e parcelle : Court-circuit vient d’appeler, ils ont besoin en urgence d’une nouvelle fournée de fraises. Je décide de ne pas m’attarder pas les gêner.
On se fait la bise, nous souhaitons de nous recroiser au magasin pour re-discuter. Juste avant de partir, je leur demande s’ils n’ont pas besoin d’une recette de légumes « Quand il sera la saison, une recette aux haricots violets serait bien. Les clients ne vont pas savoir comment les cuisiner « C’est noté. (Nb : recette disponible au magasin et dans ce billet pour les curieux)
Une dernière photo pour la postérité, puis je pars, un dernier regard gourmand sur les fraises, mais aussi un immense respect pour ces deux maraîchers. Leur travail n’est pas simple mais ils semblent tous deux dans leur élément, heureux de leurs actes et du sens qu’il porte…. Des exemples à suivre…
Où trouver les légumes d’Eric et Émile ?
- Vente à l’exploitation le jeudi entre 16H30et 19H (GAEC Champ De Main, 1205 Route de Fouillous, 26500 Bourg Les Valence)
- Court – Circuit chabeuil (certains légumes)
Rappel : Autres billets de la série « vis ma vie »: